En ce début d’année 2020, alors que les déambulations masquées ne sont pas encore de mises, quelques individus suspects ont décidé, en catimini et au terme de discrets conciliabules, de constituer une nouvelle association, le Cercle Culturel de Littérature Ouvrière, Paysanne et Sociale, CCLOPS en langage codé. L’objectif de la petite équipe est clairement affirmé : œuvrer à la promotion, à la connaissance, à la reconnaissance d’une littérature reléguée dans les marges, quasiment ignorée malgré l’inflation éditoriale annuelle. Ce choix assumé positionne le CCLOPS, modestement, dans la continuité de l’action conduite depuis un siècle par des hommes et des femmes qui entendaient agir pour des buts similaires. Les écrits produits par des ouvriers, des paysans, des employés sont, aujourd’hui comme hier et hormis quelques exceptions, ignorés, délaissés. Ainsi même durant les années 30 du siècle dernier, période où la littérature prolétarienne s’est affirmée en tant que courant littéraire, l’on a pu constater des résistances, des blocages, une réelle hostilité à l’encontre de ces œuvres issues du peuple. À cette situation, il existe plusieurs causes.

L’appropriation de l’écriture par des gens dont le métier n’est pas celui d’écrire est un phénomène qui déroute, qui brise des codes, qui suscite la méfiance. L’idéologie dominante fixe des cadres, balise des itinéraires, et il ne fait pas bon sortir des limites définies. Les catégories ont une fonction objective : certains sont des travailleurs manuels qui ont comme raison d’être de fournir des objets, plus ou moins utiles d’ailleurs, et d’autres sont des intellectuels qui ont comme tâche de mettre sur le marché des ouvrages, romans d’évasion, livres théoriques, ils ont comme matière première la pensée. La main qui repose la truelle et se saisit de la plume, la main qui délaisse le dé à coudre et s’empare d’un stylo, la main qui range la fourche et pianote sur un clavier, sont des gestes qui anticipent un monde nouveau dans lequel la séparation entre le travail manuel et l’activité intellectuelle sera abolie. La littérature d’en bas bouscule l’ordre établi, remet en cause une répartition programmée des fonctions sociales et ceci génère naturellement une forme d’ostracisme. Dans le même temps, en France, les classes sociales populaires sont souvent demeurées indifférentes à la lecture de ces textes issus de leurs rangs. L’écrivain du peuple a le crayon entre deux chaises, il semble entre deux mondes. Facteur supplémentaire de perplexité, il convient de noter que dans les milieux qui vouent un culte suprême à la classe ouvrière, parée de toutes les vertus, la littérature prolétarienne n’est pas digne d’intérêt, son droit à l’existence y est parfois même nié, ou renvoyé aux petits matins qui succéderont au Grand soir.

Cercle Culturel de Littérature Ouvrière, Paysanne et Sociale

Crainte probable de découvrir une réalité sociale aux antipodes de la mythologie cultivée par les textes sacrés, crainte effective de constater l’existence d’exploités en capacité d’auto-émancipation.

La conjonction de ces éléments explique la place occupée en France par la littérature prolétarienne, position qui n’est pas nécessairement identique à celle qu’elle occupe sous d’autres latitudes, comme nous le verrons au fil de nos publications. Ce constat est à la source de notre mise en mouvement collectif, en tant qu’association agissant pour réhabiliter aux yeux du plus grand nombre cette littérature de contrebande.