Edmond Thomas et les éditions Plein Chant

Disparition : Edmond Thomas, artisan-imprimeur, fondateur des Éditions Plein Chant a levé l’encre.

« Je me suis ainsi senti plus proche des laissés-pour-compte et de ceux qui les avaient défendus dans le passé ».1

Toute l’équipe de Fragments est touchée par le décès d’Edmond Thomas. Nous reviendrons dans les numéros 12 et 13 de notre revue sur l’itinéraire de cet autodidacte, son éthique, son travail éditorial effectué avec un unique credo, faire de la belle ouvrage. Du fait des circonstances nous publions dès maintenant la note de lecture réalisée par Robin Ségalas et qui présente le livre d’Edmond Thomas, publié il y a quelques semaines par les éditions de l’Échappée : Plein Chant, histoire d’un éditeur de labeur.

Plein Chant : histoire d’un éditeur de labeur

Je ne suis sans doute pas le mieux placé pour faire une critique objective de Plein Chant : histoire d’un éditeur de labeur. Ma première rencontre avec Plein Chant remonte à moins d’une dizaine d’années. Mon libraire me présente un livre qui pourrait me plaire, Nouvel Âge littéraire d’un certain Henry Poulaille, complètement inconnu à l’époque. Ce livre est une révélation. Enfin la littérature que j’espérais. Tant de pistes de lectures futures ! J’en parle avec le libraire qui m’offre le catalogue de l’éditeur de ce livre. Le Catalogue général 1971-2015 des éditions Plein Chant est sans doute le livre que j’ai le plus lu, relu et parcouru à ce jour. Je n’ai eu de cesse, en partant de la collection « Voix d’en bas », d’acquérir et de lire, petit à petit, les livres de ce catalogue. Chaque livre est une découverte et surtout une fenêtre ouverte vers d’autres livres, d’autres auteurs, d’autres horizons méconnus.

Quand j’ai appris qu’un livre d’entretien sur Plein Chant et Edmond Thomas devait sortir j’ai bassiné mon entourage avec et compté les jours avant sa sortie. D’autant plus que Nathan Golshem étant de la partie (voir notamment du même Et s’ouvre enfin la maison close : histoire orale d’un squat au tournant du siècle, Demain les flammes, 2022), c’était un bon présage ; le tout édité chez L’échappée qui n’a pas pour habitude de faire de mauvais livres. Sachant que la parole d’Edmond Thomas est rare (ces dernières années, un entretien dans Demain les flammes numéro 2, 2017 et dans Fragments numéro 1, automne/hiver 2020), ce livre est un événement. Je n’ai pas été déçu. Il convient d’ailleurs tant aux amis de Plein Chant qu’aux curieux du livre. Sa place dans la collection « Le peuple du livre » en est une bonne indication.

Plein Chant : histoire d’un éditeur de labeur, sur 173 pages, se découpe en deux temps. Le coeur du livre est la mise par écrit et le réarrangement d’une quarantaine d’heures d’enregistrement et d’une correspondance nourrie. Ce récit composé à huit mains (Edmond Thomas, Nathan Golshem, Klo Artières et Frédéric Lemonnier) d’échanges dans le temps semble pourtant sortir tout droit de la bouche d’Edmond Thomas. Comme si nous passions par là et qu’il se mettait à nous parler. C’est tout le talent des auteurs que d’avoir su donner à lire au plus grand nombre ces discussions.

La deuxième partie, écrite par Edmond Thomas, peut se lire à part et en complément de la première. Elle se concentre plus particulièrement sur les impressions-éditions Plein Chant et le travail accompli ces cinquante dernières années. La constitution du catalogue fournit de nombreux renseignements utiles. On y comprend mieux le lien entre l’homme, Edmond Thomas, son métier, imprimeur de labeur, et son œuvre, les éditions Plein Chant. De nombreuses gravures et dessins illustrent ce livre, ainsi que des photographies et des reproductions d’affiches et de couvertures de livres. Un index de plus de trois cents noms renvoie aux personnes et aux auteurs cités au fil du texte.

Les entretiens reviennent sur la vie d’Edmond Thomas et sa « formation ». Arpète à sa sortie de l’école puis grouillot (aujourd’hui on dirait sans doute préparateur de commande, c’est aussi pénible mais beaucoup moins poétique) chez Armand Colin ou en librairie ancienne chez Yves Lévy, Edmond Thomas a toujours aimé les livres tant pour ce qu’ils contiennent que pour l’objet en lui-même. Ses rencontres, Fernand Tourret ou les poètes de La Tour de feu par exemple, mais aussi ses lectures, Nouvel Âge littéraire, et son envie de partager orientent ses envies puis sa vie.

C’est ainsi qu’au début des années 1970, Edmond Thomas quitte Paris pour la Charente et s’installe à Bassac, tout d’abord chez les Louis. Il y rencontre Marie-Louise Boardman avec laquelle il vivra une belle histoire. Dans ces mêmes années il lance Plein Chant, revue mensuelle. Sa rencontre avec Jean Le Mauve l’inspire, notamment son travail d’imprimeur. C’est avec Georges Monti qu’il achète du matériel d’imprimerie et qu’à deux ils s’apprennent le métier. Les années 70 ont l’air de s’écouler tandis qu’Edmond Thomas travaille à son anthologie Voix d’en bas, sortie chez Maspero en 1979. De très belles pages évoquent dans ce livre les poètes ouvriers, les chansonniers du XIXe siècle et les débuts de la littérature prolétarienne.

C’est d’ailleurs dans la prolongation de cette anthologie qu’Edmond Thomas lance la collection « Voix d’en bas » en 1979. En parallèle, pour vivre, il doit imprimer pour d’autres, de petits éditeurs tous aussi intéressants les uns que les autres, et il devient ainsi imprimeur de labeur. Seulement il doit embaucher. Pour payer les salaires, il doit travailler encore plus. Cet engrenage fait qu’il se retrouve patron bien malgré lui et qu’il ne peut consacrer  autant  de  temps  ou  de  soins  qu’il  le

voudrait aux éditions.

Et surtout qu’il arrive crevé à la retraite en 2014, avec l’envie d’arrêter Plein Chant qui n’aurait pas eu à rougir de son beau catalogue. La rencontre avec Camille Estienne va redonner un élan aux éditions qui sortent six livres par an depuis ! Car Plein Chant c’est aussi et peut-être avant tout une histoire de rencontres. Rencontres avec les livres dans lesquels Edmond Thomas se forme, fait des découvertes et qu’il partage avec ses lecteurs. Rencontres avec des auteurs, mais aussi avec des personnes qui, en plus des employées, font partie de l’équipe et de l’aventure Plein Chant, tels Pierre Ziegelmeyer, Daniel Roy ou Paule Adamy que l’on découvre dans le catalogue, dans les remerciements ou au détour d’un achevé d’imprimer et que l’on peut remercier ici. Une fraternité par le livre dont témoigne abondamment ce texte.

Ce livre est ponctué de très belles pages sur ces rencontres et bien d’autres, de passages plein d’intérêt sur la chine, de réflexions sur la littérature prolétarienne, l’imprimerie, l’histoire récente d’un village charentais… Autant de digressions qui ajoutent des histoires à l’histoire. Je ne peux que vous encourager à vous procurer ce livre, à le compulser et à aller vous promener dans le merveilleux catalogue Plein Chant qui, construit au fil des ans et de ces rencontres, constitue un ensemble qui mérite de toucher le plus de lecteurs et de lectrices possibles. En espérant que le geste d’amitié que constitue cette Histoire d’un éditeur de labeur amène de nouveaux amis à Plein Chant.

Pour finir, je ne résiste pas à vous recopier le prologue du livre auquel l’épilogue fait un bel écho, mais ce sera à vous de le découvrir.

« Et si ma voix est cassée, si aujourd’hui je ne peux plus ni chanter ni siffler, cela me rappelle qu’à l’inverse de tous ces insuffisants suffisants qui s’écoutent parler à longueur de temps, je n’aime pas m’étaler. Qu’y a-t-il d’exceptionnel dans mon parcours ? Rien. Je suis à un moment de mon existence où je me penche sur mon passé, c’est un fait, mais dans le fond, ce passé n’est pas que le mien, il nous lie tous et toutes, il nous est commun. Les histoires que j’ai à raconter sont banales, en tout cas certainement pas plus captivantes que d’autres, mais elles illustrent une époque et des destinées qu’on gagnerait, pour une part du moins, à ne pas oublier. La mienne, c’est celle d’un jeune homme issu d’une famille démunie qui, poussé par la curiosité, s’est intéressé au livre et en a fait une vie. »

                                                             Robin Ségalas

1 Fragments : Entretien dans le numéro 1, page 45.

PS : cette note de lecture a été écrite avant le décès d’Edmond Thomas qui donne une dimension testamentaire à ce livre. Il reste à mes yeux un témoignage précieux, un hommage à un homme et à son œuvre, ainsi qu’une belle marque d’amitié du peuple du livre.

Plein Chant : histoire d’un éditeur de labeur, Edmond Thomas, propos recueillis par Nathan Golshem, Klo Artières et Frédéric Lemonnier, récit composé par Nathan Golshem, éd. L’échappée, coll. « Le peuple du livre », 2025, 173 p

Imprimerie Plein Chant. Bassac (Charente). 2010 Crédit Photo ET