4e de couverture
Les éditions Prolit's ont choisi comme premier ouvrage Lignes de front de François Lebert, livre qui regroupe dessins et textes de l'auteur. Ce dernier y conjugue littérature prolétarienne et art brut et, s'il décrit le monde de l'usine et des ouvriers tel qu'il est, à aucun moment il ne s'apitoie sur son sort. Au contraire, l'humour - noir, grinçant - est toujours présent dans ses textes et dessins, la dérision étant la meilleure arme des exploités face aux patrons et autres dirigeants. " C'est la douleur physique et surtout mentale qui m'a poussé à écrire et dessiner. Je préfère jouer avec mon désespoir que d'en être le jouet. " Ces textes et dessins nous interpellent avec, au bout des doigts, un regard authentique et une pensée émancipée.
François Lebert est né en 1960, à Vendôme, dans une famille ouvrière et, toute sa vie professionnelle qui débute en 1981, il sera ouvrier métallurgiste. C'est en 2003, à la suite d'une pathologie musculaire affectant une de ses mains, qui le tient éloigné de l'usine durant plusieurs mois, qu'a lieu une véritable révélation, " c'est là que je vais trouver l'idée d'un dessin de main noire, la main du travailleur standard, et de la faire parler avec du texte en bas de celui-ci, une phrase en jeu de mots, enjeu de maux ". En 2006 paraît Anthologie d'un désespoir industriel, premier livre de François Lebert.
Nous sommes en 1981.
J'ai 21 ans. Je suis encore presque un enfant.
J'ai la tête pleine de rêves...
J'entre à l'usine pour gagner ma croûte.
Une des plus grosse boîte de Vendôme.
Métallurgie, sous-traitance automobile, ici on fabrique
des cardans de direction, tout ce qui se trouve entre le
volant et le système de direction d'une voiture.
La gauche au pouvoir. Vilvorde. Jospin.
Moi qui rêve comme beaucoup d'autres d'une société
plus juste, la réalité va me faire vieillir vite fait bien fait.
Je vais découvrir le monde qui m'entoure, celui de la
société marchande, celui de l'industrie, celui de ma ville,
celui de mon pays...
Et je vais découvrir aussi celui de mes collègues.
La vie passe très vite, les 20 premières années se sont
déroulées très simplement, sans problème particulier...
Ensuite un gros souci de santé va bouleverser ma
petite vie tranquille : à la suite d'une tendinite, qui va
m'infliger une année entière d'arrêt de travail, moi qui
n'avait jamais arrêté mes activités auparavant, je vais
découvrir, pour survivre à ces difficultés, l'énergie de la
créativité, du dessin d'abord, de l'écriture ensuite...
Le froid de l'atelier en hiver, la chaleur intense en été, le
bruit, la lumière artificielle, les odeurs de produits
dangereux, les cadences qu'on ne dit plus "infernales"
mais qui le sont toujours, les ordres et les contrordres,
je vais survivre à tout ça, grâce à mes lectures, à des
amis artistes, aux lignes contenues dans les livres et à
la ligne claire, celle de mes dessins, de mes écritures,
mes lignes de défense, mes lignes de front !!!
37 ans de travail se sont passés dans cette usine de
métallurgie, une vie entière d'ouvrier, je ne regrette
absolument rien, même si dans mes écrits et dans mes
dessins il y a sans doute de la colère et du
ressentiment, je n'en veux à personne, à chacun sa
route, chacun son chemin...
Cela fait déjà quelques années que je suis à la retraite.
Mon plaisir est de partager mon existence avec vous, je
continue d'avancer et d'aimer la vie comme un fou, et je
reste, pour de bon, envers et contre tout, un joyeux
prolo !
François Lebert
14 mars 2022